Dans le cadre de l’année du soixantième anniversaire de Châteauvallon, portrait et entretien avec Patrick Valverde, Président de TVT Innovation, fidèle spectateur de la Scène nationale, et Joëlle Perrault, Directrice du mécénat et des relations entreprises.
Pouvez-vous nous aider à dresser votre fiche d’identité en quelques mots ?
Patrick Valverde — Je m’appelle Patrick Valverde. Je préside TVT (Toulon Var Technologies) Innovation, une association que j’ai fondée il y a une quarantaine d’années avec un élu qui s’appelait Daniel Colin. Je suis également vice-président de l’école d’ingénieurs ISEN et président du Port des Créateurs.
À quand remonte votre première venue à Châteauvallon ?
Patrick Valverde — Je devais avoir entre 8 et 12 ans. Je vivais alors près du quartier Valbertrand, à Toulon. Le mercredi était souvent l’occasion de venir s’asseoir sur les pierres de l’amphithéâtre, de discuter, de jouer de la musique, etc. Pour moi, Châteauvallon a très vite été un lieu de jeunesse et de découvertes : d’abord très jeune, à travers de petits orchestres improvisés, puis plus tard grâce aux différents cycles qu’a connus Châteauvallon : théâtre contemporain, jazz, variété, pop, et surtout danse contemporaine.
Quels liens entretenez-vous avec Châteauvallon ?
Patrick Valverde — D’un point de vue professionnel, c’est à travers TVT Innovation. C’est une structure que nous avions imaginée pour détecter des talents dans les domaines de l’innovation et de la technologie, les mettre en valeur et les accompagner dans leurs projets par des voies classiques, comptabilité, recherche de financements, mais aussi par des approches moins traditionnelles, comme l’ouverture à la culture, aux métiers d’art ou aux rencontres internationales.
C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Gérard Paquet. Ensemble, nous avons décidé de monter ce que l’on appellerait aujourd’hui des opérations hybrides, liant science, entrepreneuriat et culture. Nous avons ainsi créé le Théâtre de la Science entre 1990 et 1995. J’ai ensuite continué à amener régulièrement des entrepreneurs à Châteauvallon.
Quels souvenirs avez-vous à partager, en tant que spectateur ou professionnel ?
Patrick Valverde — En tant que spectateur, Le Printemps de Denis Guenoun.
En tant que professionnel, je me souviens d’avoir emmené une vingtaine d’entrepreneurs découvrir le théâtre nouveau. J’ai cru qu’ils dormaient tous pendant le spectacle et qu’ils m’en voudraient à la fin… mais finalement, c’était assez amusant. [Rires]
Un autre souvenir marquant est lié au Théâtre de la Science, avec de très belles rencontres : Tobie Nathan, John Brunner, mon auteur de science-fiction préféré, entre autres. Mais surtout, l’expérience consistait à dire aux spectateurs : vous achetez un billet, vous entrez comme au théâtre, pour écouter des entrepreneurs et des scientifiques. C’étaient, à Toulon, parmi les premières conférences de ce type. Pour la première fois, on confrontait ces publics-là. Cette expérience a été déterminante pour la suite de mon parcours.
C’est assez précurseur d’imaginer ces liens avec les entreprises à cette époque-là.
Patrick Valverde — Il y a un point commun entre Châteauvallon et TVT Innovation. À Châteauvallon, il y avait Gérard Paquet et Henri Komatis ; à TVT Innovation, Daniel Colin, un élu visionnaire, et puis, modestement, moi, porté par cette passion. Dans les deux cas, il a fallu démontrer que ce que nous faisions avait une utilité.
Gérard Paquet s’appuyait beaucoup sur l’image que le reste du monde, à travers les artistes, et notamment Paris, renvoyait de Toulon via Châteauvallon. À une époque, le lieu était presque davantage reconnu et admiré à l’extérieur qu’au niveau local.
De notre côté, nous avons mené un travail similaire : ici et ailleurs, avec Gérard mais aussi avec d’autres, nous avons cherché à faire comprendre à Toulon qu’elle pouvait nourrir de véritables ambitions, qu’elles soient numériques, scientifiques, ou aujourd’hui liées au design ou à la mode. Souvent, c’est le regard extérieur qui a permis de légitimer ces ambitions. C’est l’une des stratégies que nous avons, chacun à notre manière, utilisées pour amener la ville à envisager des projets plus audacieux que le simple quotidien.
Quel est votre plus beau souvenir artistique lié à Châteauvallon ?
Patrick Valverde — Les années 70 et 80, lorsque des pièces de théâtre très contemporaines ont commencé à être programmées. Ce sont des souvenirs d’enfance. Les concerts de jazz également. Tous ces aspects ont été très importants pour moi. Et puis la découverte de la danse contemporaine : je ne connaissais pas du tout cette forme d’art. Sans Châteauvallon, je n’y aurais probablement jamais été sensible.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur Châteauvallon ?
Patrick Valverde — J’ai été très touché par l’anniversaire que vous avez organisé, parce que cela faisait mémoire. J’ai particulièrement apprécié la soirée autour de Gérard Paquet. Aujourd’hui, il est facile de parler de Châteauvallon comme si son existence allait de soi, mais à l’origine, rien n’était évident à inventer.
Il y a eu une période où Châteauvallon commençait à devenir une salle de spectacle comme une autre, où le lieu avait perdu un peu de son âme. C’est aussi la période où j’ai commencé à vieillir [rires], donc cela joue peut-être, mais il avait perdu un peu de son originalité. Lorsque les deux structures, le Liberté et Châteauvallon, ont fusionné, j’ai d’abord eu des craintes : je me disais que réunir deux grosses machines ne serait pas simple. Finalement, Charles Berling et son équipe font le travail, et c’est plutôt très positif. Aujourd’hui, je reviens à Châteauvallon avec beaucoup de plaisir. Mon regard est donc très positif.
Quel défi se présente, selon vous, pour l’équipe actuelle ?
Patrick Valverde — Châteauvallon a longtemps été un miroir permettant aux créateurs d’inventer et d’emmener le public avec eux. Mais il y avait quelque chose à l’origine qui s’est un peu perdu : la proximité immédiate, la possibilité pour les jeunes du quartier de venir faire de la musique, du rap, d’utiliser l’amphithéâtre avec des moyens simples.
Les temps ont changé, les usages aussi, et ce n’est sans doute plus aussi simple. Aujourd’hui, il y a des barrières partout : on n’accède plus au site comme avant. Le défi serait peut-être d’en refaire un lieu de vie. Châteauvallon a toujours eu du mal à être pleinement toulonnais et connecté à la ville, mais il était au moins relié à son environnement immédiat. Je sais que de nombreux efforts sont faits, que des choses existent encore, mais tout est très cadré.
Les autres défis sont plus classiques : l’intégration du numérique, le lien avec l’innovation et les nouvelles tendances, tout en restant connecté à l’environnement proche.
Il y a aussi un enjeu autour de la transition écologique : par exemple, la création d’une exposition sur la bande dessinée utopiste, la mise en place de jardins d’expérimentation, de systèmes de récupération d’eau, des initiations à la permaculture, etc.
En cette année anniversaire, avez-vous un souhait à formuler ?
Patrick Valverde — Que Châteauvallon reste un lieu d’ouverture, de lumière et de liberté, transmissible à nos enfants et petits-enfants. Que l’utopie fondatrice de Châteauvallon, cette ouverture sur la Méditerranée, demeure.
Avez-vous une anecdote relative à Châteauvallon à partager ?
Patrick Valverde — Lors du Théâtre de la Science, je me suis retrouvé dans la Bastide. C’était émouvant, stimulant, de voir cette proximité entre des experts de domaines très différents, artistes, scientifiques, philosophes, tous réunis autour d’une table, entassés dans une petite pièce. Pour moi, c’était une véritable parabole de ce qu’est Châteauvallon.
Propos recueillis par Joëlle Perrault, Directrice du mécénat et des relations entreprises
Photo © Guillaume Castelot – Châteauvallon-Liberté, scène nationale