Joëlle Perrault :
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler de vos liens avec Châteauvallon ?
Françoise Baudisson :
Ma première rencontre avec Châteauvallon remonte à mes dix ans, j’en ai soixante-dix aujourd’hui. Mon père, alors directeur général adjoint des services de la ville de Toulon, a participé à la construction du site et soutenu le projet de Gérard Paquet, notamment au niveau de la collectivité. À cette époque, je venais ici pique-niquer le dimanche avec mes parents.
Quarante ans plus tard, j’ai retrouvé Châteauvallon à travers mon mari, dont l’entreprise avait prêté et même offert du matériel pour le chantier, et qui venait lui-même aider sur place. Mon histoire s’est donc toujours mêlée à celle de ce lieu.
Sur le plan professionnel, j’ai aussi collaboré avec Châteauvallon, d’abord à la ville de Toulon, puis à La Seyne-sur-Mer, dans les services culturels. Quand j’étais à la ville de Toulon, à l’École des beaux-arts, certains de mes étudiants ont travaillé sur Le Grand Nuage de Magellan, un spectacle d’envergure. Plus tard, lorsque Christian Tamet a repris la direction avec une nouvelle dynamique, un partenariat s’est développé avec la ville de La Seyne-sur-Mer.
J’ai donc toujours connu Châteauvallon et travaillé avec ses équipes, à la fois dans ma vie personnelle et professionnelle.
Joëlle Perrault :
Vous en êtes aujourd’hui la présidente. Depuis combien de temps occupez-vous cette fonction ?
Françoise Baudisson :
Depuis douze ans, j’entame mon cinquième mandat. C’est une grande fierté et une véritable leçon de vie. Douze ans, ce n’est pas rien : Châteauvallon fait partie intégrante de mon existence. Je suis très attachée à la confiance qu’on m’a accordée et fière du chemin parcouru, malgré les passages parfois difficiles.
Joëlle Perrault :
Vous avez été et vous êtes la première femme présidente de Châteauvallon en soixante ans. Cela a-t-il une signification particulière pour vous ?
Françoise Baudisson :
Pas vraiment. Je n’ai jamais eu de réflexe « féministe » au sens militant du terme, j’ai eu la chance de ne jamais souffrir du fait d’être une femme au travail, même dans des environnements souvent masculins.
Joëlle Perrault :
Comment définiriez-vous votre rôle de présidente ? Et par ailleurs, est-ce que selon vous ce poste a des spécificités liées à Châteauvallon ?
Françoise Baudisson :
C’est un rôle à la fois technique et juridique : en tant que présidente d’association loi 1901, la responsabilité repose entièrement sur mes épaules. Je suis entourée d’un conseil d’administration, mais je travaille au quotidien en lien étroit avec le ou la directeur·rice de la structure, avec qui j’échange le plus souvent.
Tout au long de ma présidence, j’ai eu la chance de bénéficier d’échanges très positifs avec l’équipe de direction. Mon rôle est avant tout d’accompagner et de soutenir : je ne suis pas là pour freiner le projet, mais pour m’assurer qu’il se réalise dans les meilleures conditions juridiques, financières et organisationnelles. La confiance et la collaboration sont donc au cœur de cette fonction.
Joëlle Perrault :
Quels ont été, selon vous, les trois grands défis de vos mandats ?
Françoise Baudisson :
Le premier, c’est l’obtention du label « Scène nationale » en 2015, une très belle victoire collective.
Le second, l’attribution en 2019 du label « Architecture contemporaine remarquable », qui reconnaît le patrimoine unique du site.
Enfin, le troisième défi a été la mise en place d’une direction commune entre Châteauvallon et le Théâtre Liberté. Même si je ne préside que Châteauvallon, je considère aujourd’hui les deux structures comme une seule maison avec un projet commun.
Succès ou difficultés, tout se vit et se partage : c’est l’esprit d’une scène nationale unifiée. Même si je suis présidente de Châteauvallon, le Liberté est devenu ma maison également, et j’espère qu’il en est de même pour tout le personnel. Qu’ils travaillent pour Châteauvallon ou pour le Liberté, je souhaite qu’ils se sentent partie intégrante de cette grande « machine » qu’est la scène nationale. Un souci à Châteauvallon retentit sur le Liberté, et une réussite à Châteauvallon se répercute de la même manière. Je pense que c’est l’un de nos grands défis, et nous y sommes parvenus.
Joëlle Perrault :
Quel est votre plus beau souvenir professionnel de présidente ? Si vous deviez en garder un et nous le partager, lequel ce serait ?
Françoise Baudisson :
Difficile de choisir, car chaque moment est une fête. Certains spectacles m’ont profondément émue, notamment ceux du festival d’été, qui sont toujours magiques.
Je pense par exemple à Léon Blum, une vie héroïque en mai 2024 qui a duré 8h ou à Mozart – Requiem de Bartabas, un spectacle équestre de juillet 2024 : deux grandes réussites. Finalement, le plus beau souvenir reste peut-être le lever du soleil lors du spectacle Les Dormeuses + A WEB, A LIMB, A WIRE. Ce moment d’aube, à la fois artistique et spirituel, m’a procuré une paix immense et m’a transportée toute la journée qui a suivie.
Joëlle Perrault :
Qu’est-ce qui rend Châteauvallon si unique sur le plan artistique ?
Françoise Baudisson :
Comme je le dis souvent à Charles Berling, c’est un lieu à part. L’été, quand la chaleur s’installe et que la lumière devient blanche, je ressens une magie presque mystique, semblable à celle de Delphes. Châteauvallon, pour moi, c’est la Grèce antique alliée à la modernité méditerranéenne. C’est certainement ainsi qu’Henri Komatis a été inspiré.
Je suis profondément attachée à cette terre : née à Toulon, de famille toulonnaise depuis plusieurs générations, je me sens pleinement méditerranéenne. Et Châteauvallon en est l’expression parfaite.
Joëlle Perrault :
Si œuvrer pour Châteauvallon vous donnait un super-pouvoir, lequel serait-il ?
Françoise Baudisson :
Je vais reprendre ma casquette de Directeur de la culture et vous répondre : celui de la culture. La culture ouvre toutes les portes et peut mener à tout. Plus nous parviendrons à sensibiliser les jeunes, les enfants et le grand public, plus nous les inciterons à venir, et plus nous remplirons notre mission d’apaisement, d’éducation et de tolérance. Le théâtre, le spectacle, les arts, soit la culture en général : tout cela rend le monde plus humain, c’est une grande leçon de tolérance.
Joëlle Perrault :
En cette année anniversaire, quel vœu formuleriez-vous pour Châteauvallon ?
Françoise Baudisson :
Qu’on en parle avec autant d’amour dans soixante ans ! Et que nous ayons toujours les moyens d’agir librement, sans censure ni entrave, pour continuer à créer et à transmettre.
Joëlle Perrault :
Avez-vous une anecdote à partager ?
Françoise Baudisson :
Je dirais que c’est surtout la complicité avec l’équipe de direction actuelle qui me marque : nous avons des fous rires extraordinaires. Pour moi, ce sont de véritables moments de bonheur.
Même dans les périodes où les difficultés ont été importantes, il y a toujours un instant où l’humour reprend le dessus. D’une certaine manière, cela ramène tout dans le théâtre : notre discipline n’est pas pour rien centrée sur la scène, car nous basculons souvent dans le comique ou le loufoque.
J’ai partagé des fous rires mémorables avec Janusz Wolanin, Charles Berling, Sarah Behar ou Valérie Abraham. C’est sans doute un peu dans ma nature : face aux gros soucis, j’essaie toujours de répondre par l’ironie. À Châteauvallon, cela fonctionne à merveille.
Pour moi, Châteauvallon, c’est avant tout la bonne humeur.
Joëlle Perrault :
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Françoise Baudisson :
Oui, je voudrais évoquer le travail invisible, celui que le public ne voit pas et qui me rend fière.
Derrière les spectacles, il y a une immense activité d’actions culturelles, qui comme nous ne faisons pas recettes, est bénévole : sensibilisations des publics, interventions dans les lycées, projets dans les quartiers, ateliers avec le champ social… C’est la base de tout, un travail de fond rendu possible grâce aux subventions publiques et j’en suis profondément reconnaissante : sans elles, ce travail minutieux, souvent invisible, ne pourrait exister.
Je croise souvent des parents qui me disent que leur enfant a participé aux Ateliers en Liberté et que ce que nous faisons est extraordinaire, alors que beaucoup d’autres ne se rendent pas compte de tout ce qui se passe en coulisses.
Lorsqu’on dirige un service culturel, nous sommes conscients de cette réalité : il y a la partie « visible », un peu paillettes, nécessaire pour attirer le public, mais surtout tout un travail souterrain, discret, mais essentiel, impossible sans le soutien des subventions.
Un bel exemple récent est la restitution du projet Quartiers en Liberté au Pont du Las en septembre dernier : voir la joie des habitants a été l’un des moments les plus marquants. Avec l’aide des artistes, nous contribuons à faire vivre et vibrer un quartier populaire.
Châteauvallon ne se résume pas à ses lumières : il vit aussi dans l’ombre, là où la culture agit silencieusement.
Photos © Guillaume Castelot – Châteauvallon-Liberté, scène nationale