RegardS sur 60 ans d’histoire – Karim Boudaoud

12/11/2025

Joëlle :
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Karim :
Je m’appelle Karim Boudaoud, je suis né le 9 avril 1965 à Brignoles, dans le Var. Ma première rencontre avec Châteauvallon remonte à 1992, lorsque j’ai passé un entretien pour un poste d’intermittent. Le régisseur général de l’époque avait fait la même école que moi, le CFPTS (Centre national de formation professionnelle aux techniques du spectacle) à Bagnolet, près de Paris. C’est ainsi que tout a commencé.

Joëlle :
Depuis combien de temps travaillez-vous à Châteauvallon et quelles fonctions avez-vous occupées ?

Karim :
Comme disait l’amiral Delaunay, président à l’époque, « j’ai eu un parcours idéal ». J’ai commencé comme électricien de spectacle, autour de 1993 ou 1994, lors d’un grand festival de danse, les Rencontres franco-belges, sous la direction de Gérard Paquet. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé comme intermittent, à Châteauvallon mais aussi à Paris, dans l’événementiel et le cinéma. J’ai également passé un temps à l’École nationale du cirque, où je réalisais la création lumière. En 1995, avec l’arrivée du Front National à la mairie de Toulon, le théâtre Châteauvallon – Théâtre national de la danse et de l’image a été dissous. Quand Christian Tamet a relancé la structure en 1998, sous la forme d’un Centre national de création et de diffusion culturelles, j’ai rejoint l’équipe comme régisseur lumière intermittent. En 2001, on m’a proposé un poste permanent de régisseur lumière, aux côtés de Nicolas Martinez. Quelques années plus tard, je suis devenu régisseur général, puis directeur technique, après le départ à la retraite de Philippe Billoret. Depuis, je suis toujours là. Châteauvallon, c’est une partie de ma vie.

Joëlle :
Quel est, selon vous, le rôle d’un directeur technique ? Et y a-t-il des spécificités à Châteauvallon ?

Karim :
Mon rôle englobe tout ce qui touche à la technique du spectacle, à la sécurité, à l’hygiène et à la gestion budgétaire et du personnel. La particularité de Châteauvallon, c’est que le site s’étend sur sept hectares ouverts au public, avec de nombreux bâtiments à entretenir. Certains pensent que je suis le directeur technique d’une petite ville, alors que ma compétence reste avant tout celle du spectacle vivant.

Joëlle :
Si vous deviez citer deux grands défis majeurs auxquels vous avez été confronté à Châteauvallon ?

Karim :
Ils me viennent tout de suite à l’esprit ! Le premier, c’est La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat. Un défi colossal : il a fallu reconfigurer totalement la salle du théâtre couvert. Les gradins ont été rétractés, et deux grandes tribunes ont été installées face à face, avec la scène au centre. Le problème, c’est que notre système d’accroche des projecteurs se trouve d’ordinaire au-dessus de la scène, transversalement. Nous avons donc dû créer des ponts suspendus et réinventer toute la structure d’éclairage. C’était risqué et exigeant, mais passionnant. Le second défi, c’est plus récent : Helikopter d’Angelin Preljocaj, joué l’été dernier. Nous avons dû gruter un pont sur la structure de l’amphithéâtre en plein air. Un travail titanesque que personne ne voit, mais qui m’a valu trois nuits blanches à cause du vent. Le moindre contretemps météo aurait pu tout compromettre. Finalement, tout s’est bien déroulé !

Joëlle :
Quels seront, selon vous, les prochains défis à relever ?

Karim :
Dans ce métier, il y en a toujours ! Je n’aurais jamais imaginé installer un pont sur le nôtre comme pour Helikopter, et pourtant on l’a fait. C’est ça que j’aime : trouver des solutions à l’impossible. Faire de l’accueil standard, j’en ai fait pendant trente ans ; ce qui me passionne aujourd’hui, c’est d’innover. Et puis cette année, avec les 60 ans de Châteauvallon, on a mené plein de projets périphériques, comme les jardins partagés avec leurs potagers et leurs structures, et j’ai adoré ça.

Joëlle :
Quel est votre plus beau souvenir à Châteauvallon ?

Karim :
Si je n’étais pas en instance de divorce, je dirais mon mariage ici même ! [rires]. Je plaisante, mais c’est vrai que c’était un moment fort. Je suis le seul membre de l’équipe à m’être marié à Châteauvallon, et c’est un souvenir très cher à mon cœur. Ce lieu fait vraiment partie de moi.

Joëlle :
Et votre plus beau souvenir artistique ?

Karim :
J’ai vu une quantité incroyable de spectacles, mais j’ai une tendresse particulière pour Angelin Preljocaj et Joël Pommerat. Ce sont deux génies du spectacle vivant : leurs créations sont puissantes, poétiques, et en même temps profondément humaines. Travailler à leurs côtés, les voir créer, c’est toujours inspirant. C’est ce que j’aime dans mon métier : contribuer à rendre possible les visions de ces artistes. Ce n’est pas un hasard si je travaille ici, c’est un vrai choix de vie.

Joëlle :
Et si travailler à Châteauvallon donnait un super-pouvoir ?

Karim :
Le bonheur, tout simplement. Je suis heureux dans ce que je fais, chaque jour. Quand j’entends des gens dire qu’ils cherchent à être heureux dans leur travail, je me dis que moi, je le suis. Et le jour où je ne le serai plus, j’arrêterai, c’est aussi simple que ça.

Joëlle :
Quel vœu formuleriez-vous pour Châteauvallon ?

Karim :
Qu’il continue encore longtemps, avec le même niveau d’exigence et de rayonnement. Châteauvallon a toujours eu une dimension internationale, et j’espère qu’il la gardera. Je crois beaucoup à la transmission : nous avons la responsabilité de passer le flambeau. J’adore d’ailleurs participer aux « stages culture », ces initiations aux métiers du spectacle pour les jeunes. Partager ma passion, c’est une manière de redonner ce que j’ai reçu.

Joëlle :
Pour finir, une anecdote à partager ?

Karim :
Ah, il y en aurait tellement ! [rires]. Je me souviens notamment de Maurice Béjart, qui venait chaque été pour trois semaines. On faisait quinze représentations, à guichets fermés. Le vendredi, il déjeunait avec nous à l’atelier de l’Amphithéâtre autour d’un aïoli maison. À l’époque, il y avait même un restaurant sur le parvis, à l’emplacement de l’actuelle salle de catering. C’était une autre époque, pleine de souvenirs inoubliables.

Joëlle :
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Karim :
[Rires] Peut-être juste : « Vivement la retraite ! ». Je plaisante bien sûr ! Cette année, je fête mes 60 ans, alors je me dis que la boucle n’est pas tout à fait bouclée… Qui sait ? Il me manque peut-être juste un second mariage à Châteauvallon !

Photos © Guillaume Castelot – Châteauvallon-Liberté, scène nationale