Théâtre

L’Écriture ou la vie

Jorge Semprún — Jean-Baptiste Sastre & Hiam Abbass

Plonger dans L’Écriture ou la vie de Jorge Semprún, « survivant » du camp de concentration de Buchenwald, c’est se fondre dans les abîmes de la mémoire et l’histoire sanglante du XXe siècle qui a englouti des millions d’êtres humains. Durant cette période, l’Histoire a révélé tant de forces néfastes et maléfiques, qu’aujourd’hui encore nous en constatons les retombées dans le monde entier. « Le Mal Absolu a survécu à Auschwitz » disait Elie Wiesel. La victoire des démocraties ne l’a pas arrêté. Choisir de porter ce texte sur scène est une tentative de protéger cette mémoire constamment menacée d’un oubli inadmissible, celle des disparus et des revenants.

Travailler L’Écriture ou la vie, c’est plonger dans les affres de l’Histoire sanglante du XXe siècle que Jorge Semprún et bien d’autres ont traversée, dont certains ne sont jamais revenus.

Le XXe siècle a été certainement l’un des siècles les plus violents de l’Histoire. Il a révélé, libéré et déchaîné tant de forces néfastes, qu’aujourd’hui encore, le monde en ressent les secousses et les retombées. Il existe encore après le fascisme, la haine raciale, le fanatisme, la purification ethnique et les nationalismes exacerbés.

L’Écriture ou la vie qui s’ouvre sur le suicide de Primo Lévi et relate l’expérience de l’auteur à Buchenwald, que nous avons créé au dernier Festival d’Avignon a rencontré un public attentif, montrant certainement par là-même la nécessité absolue du devoir de mémoire qui est le nôtre aujourd’hui, et tout particulièrement envers les jeunes générations que nous souhaitons faire participer, activement, aux prochaines étapes du projet.

Nous avons ainsi souhaité porter à la scène les mots infiniment marquants de Jorge Semprún et Primo Levi, rescapés respectivement des camps de Buchenwald et d’Auschwitz, afin que cette parole indispensable puisse résonner avec les temps troublés que nous connaissons où la recrudescence de l’antisémitisme s’accentue chaque jour en Europe.

Auschwitz a été libéré en janvier 1945, Buchenwald en avril de la même année : nous commémorerons donc, à l’échelle européenne, en 2025 les 80 ans de ce moment historique fondamental pour notre histoire récente et qui a des répercussions massives et inquiétantes sur le monde contemporain. Nous pensons nécessaire de restituer « in situ » la parole de Jorge Semprún à Buchenwald, à Auschwitz et dans d’autres lieux de mémoire, et, bien sûr, dans les théâtres et les universités, en France et à l’étranger, avec la jeunesse européenne, tout particulièrement bien sûr dans le cadre de la relation franco-allemande.

Porter ce texte à la scène est une tentative de protéger la mémoire des disparus et des revenants, constamment menacée d’un « oubli inadmissible ». Pour ne jamais oublier. Mais se pose aujourd’hui la question du témoignage. Comment peut-on raconter quand tous les survivants auront disparu, quand les victimes et les martyrs auront glissé dans le silence de l’Histoire ?

Peu de temps après la libération du camp de Buchenwald, Jorge Semprún évoque avec ses camarades la nécessité de l’artifice et de la fiction pour que le récit puisse être entendu, partagé et reçu :

« Voudra-t-on écouter nos histoires, même si elles sont bien racontées ? […]
– Ça veut dire quoi, « bien racontées » ? S’indigne quelqu’un. Il faut dire les choses comme elles sont, sans artifices ! […]
– Raconter bien, ça veut dire : de façon à être entendus. On n’y parviendra pas sans un peu d’artifice. Suffisamment d’artifice pour que ça devienne de l’art ! […]
La vérité que nous avons à dire […] n’est pas aisément crédible… Elle est même inimaginable… Comment raconter une vérité peu crédible, comment susciter l’imagination de l’inimaginable, si ce n’est en élaborant, en travaillant la réalité. Avec un peu d’artifice, donc ! »

Pour conclure, nous souhaiterions citer ces quelques mots d’un entretien entre Jorge Semprún et Eli Weisel : « Se taire est interdit, parler est impossible ».

Hiam Abbass & Jean-Baptiste Sastre, décembre 2023

  • Pour tous dès 15 ans
  • Durée 1h30

Télécharger le dossier du spectacle

Première au Théâtre des Halles, scène d'Avignon dans le cadre du Festival Off Avignon le 7 juillet 2023

D’après L’Écriture ou la vie de Jorge Semprún (1994)
Adaptation et mise en scène Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass
Avec Hiam Abbass, Geza Rohrig et Jean-Baptiste Sastre
Scénographie Caroline Vicquenault
Création lumière Dominique Borrini
Création masques Erhard Stiefel
Production Châteauvallon-Liberté, scène nationale
Texte publié aux éditions Gallimard

Production Châteauvallon-Liberté, scène nationale
Texte publié aux éditions Gallimard

Photos © Vincent Berenger – Châteauvallon-Liberté, scène nationale

Saison 22—23

Théâtre des Halles, scène d’Avignon — Festival Off Avignon
7 → 26 juillet  2023

Saison 24—25

Le Liberté, scène nationale — Toulon

 

Sur scène, ils sont quatre. Deux femmes masquées, dont Hiam Abbass, qui chantera le kaddish en yiddish. Une autre, muette, symbolise ces enfants qui dormaient au pied de la cheminée des fours crématoires. Geza Rohrig ne parle ici qu’araméen – oui, cette langue morte. Sastre lit des pages de Semprún. C’est d’une belle et terrible intensité – comme toujours avec lui –, et un rien désarçonnant. On n’oubliera plus que « le Mal est l’un des projets possibles de la liberté constitutive de l’humanité de l’homme ».
Le Canard enchaîné

La petite chapelle du Théâtre des Halles est l’écrin d’une ode à la nécessité d’écrire. Malgré tout. […] Jean-Baptiste Sastre, en redingote noire et chemise blanche, est l’officiant principal des mots de Semprún. Visage habité, par le doute et l’angoisse, l’acteur semble enflammer le verbe. […] Pour évoquer la libération du camp et la quête de vies ultimes dans les baraquements où les corps s’entassent sur les châlits de bois, Sastre passe la parole au comédien hongrois […]. Geza Röhrig raconte cette scène dans sa langue que l’on semble soudain comprendre, avant même la traduction de Sastre, tant le fluide passe entre les deux. Comme un incroyable échange de voix pour mieux nous dire l’indicible.
Emmanuelle Bouchez – Télérama

En adaptant L’Écriture ou la vie de Jorge Semprún, témoignage majeur sur l’atrocité nazie, Hiam Abbass et Jean-Baptiste Sastre parviennent à créer un objet artistique subtilement intelligible et un acte de transmission nécessaire. Agnès Santi – La terrasse

Un spectacle de grande intensité pour ne jamais oublier l’irréparable, pour le présent et l’avenir. Véronique Hotte – Hottello