Théâtre

La Leçon

Eugène Ionesco — Robin Renucci

Cette pièce totalement absurde est l’une des plus célèbres d’Eugène Ionesco. L’auteur y interroge le principe de transmission. Comment partager ses connaissances sans user d’autorité ? Plus de soixante-dix ans après sa création, elle n’a pas pris une ride. Robin Renucci, acteur et metteur en scène s’en empare. Et c’est réjouissant !

Lieu
  • Châteauvallon
  • Théâtre couvert
Accessibilité
  • Pour toutes et tous
    • dès 14 ans
  • Dates Durée estimée 1h
  • mardi 7 avril 2026 20:00
  • mercredi 8 avril 2026 20:00
Tarifs
  • Plein tarif 30 €
  • Tarif adulte avec la carte Châteauvallon-Liberté 20 €
  • Tarif partenaire (CSE et Associations culturelles partenaires) 20 €
  • Tarif - 30 ans 15 €
  • Tarif - 18 ans 10 €
  • Tarif solidaire 5 €
  • Tarif solidaire famille adulte 10 €
  • Tarif solidaire famille enfant 5 €

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Informations pratiques

Dans un jardin, un professeur réfractaire à tout esprit critique, accueille sa nouvelle élève. Arithmétique, philologie comparée, langues, tout y passe sans que l’adolescente ait son mot à dire. Le prétendu savant aime entretenir la confusion jusqu’au moment où il dérape. Comique de situation, de langage ou de pur jeu théâtral, ici l’humour est au service du drame. Une manière astucieuse de critiquer la domination des hommes.

Texte Eugène Ionesco
Mise en scène Robin Renucci
Avec Robin Renucci (le professeur), Inès Valarcher (l’élève), et Christine Pignet (la bonne Marie)
Dramaturgie Louise Vignaud
Scénographie Samuel Poncet
Création lumière Sarah Marcotte
Création son Orane Duclos
Costumes Jean-Bernard Scotto

Production Théâtre national de Marseille – La Criée
Coproductions Châteauvallon-Liberté scène nationale / Le Préau – CDN de Vire (en cours)

Photo © Jean-Christophe Bardot
Texte © Vanessa Asse

Revenir à La Leçon de Ionesco en ces temps incertains s’impose à moi, en tant qu’acteur, metteur en scène, directeur de lieu et pédagogue : il y est question de la violence du langage comme arme de l’autoritarisme, question hautement politique et inspirante.

C’est tout d’abord la notion de transmission qui m’a amené à retrouver ce texte, que j’avais interprété dans une mise en scène de Christian Schiaretti au TNP en 2015. Quel est mon rôle face aux jeunes générations ? Comment faire acte de partage des connaissances et créer du désir d’apprendre ? Le professeur de La Leçon représente pour moi tout le danger d’un système pyramidal qui supposerait que transmettre équivaut à imposer un savoir – et qui crée une méfiance dans la jeunesse. Transmettre, apprendre, imposer : la frontière est mince. Que se passe-t-il quand elle est franchie ? C’est ce dont il sera question dans notre Leçon.

Ionesco écrit : « Aucune société n’a pu abolir la tristesse humaine, aucun système politique ne peut nous libérer de la douleur de vivre, de la peur de mourir, de notre soif de l’absolu. C’est la condition humaine qui gouverne la condition sociale, non le contraire. » Mettre en scène La Leçon, c’est voir les dangers de cette humanité malade, qui ne se résout pas renoncer à l’absolu, et se détruit en cherchant à renouveler le langage, c’est-à-dire à renouveler une vision du monde. Il y a du comique dans cette histoire : comique de situation, comique de la langue, comique purement théâtral du jeu et de son dépassement. Mais ce comique est au service du drame, un drame dur et pessimiste, qui nous rappelle que les discours et le vocabulaire peuvent devenir, à notre insu, les outils de la manipulation, de la terreur et de la torture.

Tout d’abord réservé, nanti d’un savoir apparemment sensé, on verra le professeur développer de manière pathologique ses notions philologiques et linguistiques, absurdes et confuses. Nous entrerons dans sa souffrance risible alors qu’il ne peut trouver aucun point de rencontre avec la jeune fille. Cette souffrance, il s’en servira, la transformera en mots pour manipuler l’élève, la chosifier devenant sa proie. Fidèle à l’auteur, le délire du langage deviendra transe sexuelle… et mènera comme il se doit au pire. La Leçon, c’est l’histoire d’un viol : le professeur abuse de son pouvoir, abuse violemment de son élève, pour finalement l’anéantir. Le viol est ici l’expression de la toute puissance du désir comme moteur irrationnel et dangereux. Nous nous attacherons à faire entendre la menace que représente un tel comportement de domination, où l’instinct dépasse la culture.

C’est donc également de cette frontière ténue entre autorité et pouvoir dont viendra parler cette Leçon. Loin de permettre de devenir auteur de ses actes comme le requiert son étymologie, le beau mot d’autorité corolaire de l’individuation est confondu avec autoritarisme et uniformisation.

Le thème de l’autorité s’avère d’ailleurs être un axe central du langage de nos dirigeants : son importance va croissant ces temps derniers et particulièrement à l’école, lieu de promesses et de désirs par excellence, devenue un sujet d’angoisse et de sidération. Dans le même temps, certains souhaitent ardemment l’uniforme dans nos écoles publiques, cette tenue symbolique apparaissant comme la réponse prometteuse aux enjeux actuels de l’éducation. Nous verrons comment dans ce drame comique, la langue est un terrain miné qui, sous ses apparences de convention et d’échange, devient l’arme abstraite d’un asservissement. Ici, le langage est en échec, impuissant à construire des liens entre les hommes.

L’enjeu de la représentation est de porter au public la modernité de ce texte, d’en dévoiler sa violence crue. Fidèle à Ionesco, je chercherai « un théâtre de la violence : violemment comique, violemment dramatique ». En cherchant le trop gros, en allant à fond dans le grotesque, le paroxysme, nous reviendrons aux sources du tragique : la difficulté à communiquer et à s’entendre, le langage comme instrument de domination.

Ma mise en scène de La Leçon s’attachera à mettre en évidence le « gaslighting », qui traduit une forme de manipulation psychologique qui vise à faire douter une personne de sa propre réalité, réduisant au silence de nombreuses femmes. Le travail d’Hélène Frappat me parle particulièrement et je souhaite mettre en lumière ce mécanisme de doute et de confusion qui mène les femmes à s’autocensurer : « à force d’être manipulée et privée de tout repère, elle en arrive à perdre confiance en sa propre voix, en sa capacité à affirmer la réalité de ce qu’elle voit et ressent ». Elle étend cette réflexion à la société contemporaine, soulignant que le gaslighting est une manifestation insidieuse de la domination patriarcale, où la voix des femmes est dévaluée et discréditée.

Pour retrouver ces intentions dans la distribution je jouerai le professeur : ne plus comprendre, être dépassé, produiront non seulement un délire langagier, mais également une souffrance physique insupportable visible pour le spectateur. L’élève sera interprétée par Inès Valarcher qui est également contorsionniste, ce qui renforcera la courbe intense de l’aliénation et de l’épuisement corporel et mental. Elle transmettra par le corps l’expression de la douleur que l’absurdité du texte sous-tend. Enfin la bonne Marie interprétée par Christine Pignet qui se servira de sa grande force comique pour passer de l’inquiétude à l’envers du rire.

Notre espace sera symbolique. Un jardin abandonné, vide, en jachère, prêt à toutes les éventualités. Un portillon, un seuil : celui de la possibilité, par lequel entre l’élève. Tout du moins en apparence : « il faut fermer les écoles et agrandir les cimetières », écrit Koltès dans Roberto Zucco. Peut-être Ionesco en est-il le précurseur. Le regard du spectateur évoluera pendant la représentation. Peut-être finalement n’est-ce pas le jardin du professeur, mais les abords d’un cimetière dans lequel l’élève s’est aventurée. Nous sommes sur le lieu d’un rituel, d’une tentative de révolution sans cesse recommencée, qui ne fait que creuser des tombes sous nos pieds.

Il relève de notre responsabilité de donner à entendre cette œuvre à toutes et tous, et particulièrement aux jeunes générations. À nous de proposer autre chose que ce monde où la jeunesse se fait broyer, où la maîtrise de la langue et l’appétit littéraire, aujourd’hui malmenés dans notre système scolaire, reste l’apanage des puissants.

Élève à l’Atelier-École Charles Dullin de 1975 à 1977, puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique dans les classes de Jean-Paul Roussillon, Pierre Debauche, Marcel Bluwal et Antoine Vitez, Robin Renucci joue au théâtre sous la direction des plus grands metteurs en scène, notamment dans Le Petit Mahagonny de Brecht et En attendant Lefty de Clifford Odets, deux pièces mises en scène par Marcel Bluwal, Où boivent les vaches ? de Roland Dubillard, mis en scène par Roger Planchon, Hamlet de Shakespeare par Patrice Chéreau ou encore Le Soulier de satin de Claudel par Antoine Vitez ; il obtient pour son interprétation de Don Camille le prix Gérard Philipe en 1987.

Il est aussi dirigé par Jean-Pierre Miquel, Christian Schiaretti pour lequel il interprète le rôle de Don Salluste dans Ruy Blas de Victor Hugo, du professeur dans La Leçon d’Ionesco, d’Arnolphe dans L’école des femmes de Molière et celui de Pollock dans l’Echange de Paul Claudel.

Sa carrière de comédien se prolonge au cinéma, où il tourne notamment avec Christian de Chalonge, Michel Deville, Diane Kurys, Gérard Mordillat, Jean- Charles Tacchella (dans Escalier C, pour lequel il est nommé aux Césars en 1985), Claude Chabrol, Bernardo Bertolucci, Jean-Pierre Mocky, Jean-Paul Salomé, Maiwenn…

Il réalise en 2007 son premier long métrage Sempre Vivu !. Sa carrière télévisuelle est aussi notable. Il a tenu un rôle pendant sept saisons dans la série Un village français et a réalisé pour TF1 et Canal+ La Femme d’un seul homme avec Clémentine Célarié et Didier Sandre. En 2012, il joue dans Le Silence des églises, réalisé par Edwin Baily, en 2014, on le retrouve dans Couvre-feu d’Harry Cleven. De 2015 à 2016, il interprète Monsieur Édouard dans deux saisons de la série Chefs puis interprète en 2021 Piero Da Vinci dans Leonardo, il vient de tourner dans Franklin de Tim Van Patten.

Fondateur de L’ARIA (Association des Rencontres Internationales Artistiques) en Corse, labellisée Centre Culturel de Rencontre, il organise depuis 1998 les « Rencontres Internationales de Théâtre en Corse » qui fêteront leur 25e édition en 2023.

Il a été professeur au Conservatoire national Supérieur d’Art dramatique (CNSAD) de 2007 à 2022 et est membre du Haut Conseil pour l’Éducation Artistique et Culturelle depuis 2018.

De 2011 à 2022, il a été directeur des Tréteaux de France, Centre dramatique national, succédant à Marcel Maréchal et président de L’ACDN (Association des centres dramatiques nationaux) de 2017 à 2022.

Aux Tréteaux de France, il signe les mises en scène de Mademoiselle Julie de Strindberg en 2012, du Faiseur de Balzac en 2015, de L’Avaleur de Jerry Sterner en 2016, de L’Enfance à l’œuvre créé au Festival d’Avignon en 2017, de La Guerre des salamandres d’après Karel Čapek en 2018, Oblomov d’après le roman de Gontcharov en 2020, puis, une tétralogie Racine avec Bérénice en 2019, Britannicus en 2020, Andromaque en 2021 et Phèdre en 2022.

Le 30 mars 2022, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot-Narquin le nomme Directeur de La Criée, Centre dramatique national de Marseille.

Pour sa première création Robin Renucci a adapté avec Serge Valletti, À la Paix ! d’après Aristophane en novembre 2023 à La Criée. Fort des retours enthousiastes lors des représentations de Phèdre en 2023, Robin Renucci reprend en 2025 le chef d’œuvre racinien tout en l’adaptant à une forme frontale. Une tournée est organisée à la suite des dates à La Criée.

Eugen Ionescu est né le 26 novembre 1909 à Slatina en Roumanie. Son père est roumain, sa mère, Thérèse Ipcar, d’origine française. En 1911, la famille s’installe à Paris. En 1916, l’Allemagne déclare la guerre à la Roumanie et le père de Ionesco retourne à Bucarest laissant sa famille à Paris. Il se remariera en Roumanie sans en informer sa première femme. Eugène et sa soeur Marilina séjournent chez des fermiers à la Chapelle-Anthenaise en Mayenne. Ionesco évoque cette période dans ses journaux intimes (et indirectement dans l’une de ses pièces) comme un moment suspendu, de joie pure. En 1922, Eugène et sa soeur doivent rejoindre leur père à Bucarest. Ils apprennent le roumain qu’ils ignoraient. Leur mère viendra les rejoindre plus tard ; entre temps, leur père a divorcé. Ionesco découvre la poésie de Tristan Tzara et des surréalistes. Il entre à l’université de Bucarest où il prépare une licence de français. Il rencontre Rodica Burileanu, étudiante en philosophie et en droit. Elle deviendra sa femme en 1936. Il est enseignant. Il écrit des articles, des poèmes, il est critique pour diverses revues, il publie une oeuvre satirique Nu (Non) qui fait scandale.

En 1938 il quitte la Roumanie, plongée alors en plein trouble politique, pour la France. Mobilisé en 40, il rentre à Bucarest puis revient en France en 42. Le couple s’établit à Marseille. En 1944 naissance de Marie-France, leur fille unique. En 1945 retour à Paris. Ionesco est manutentionnaire puis correcteur d’épreuves.

En 1950, Nicolas Bataille crée La Cantatrice chauve au Théâtre des Noctambules. Ionesco se fait naturaliser français. En 1951, Marcel Cuvelier crée La Leçon au Théâtre de Poche. En 1952, Sylvain Dhomme crée Les Chaises au Théâtre Lancry. Reprise de La Cantatrice chauve et La Leçon à La Huchette. Ses pièces se créent et sont montées le plus souvent dans de petits théâtres. Victimes du devoir, Sept petits sketches, Amédée ou comment s’en débarrasser, Jacques ou la soumission, L’avenir est dans les oeufs, Le nouveau locataire, Tueur sans gages et L’Impromptu de l’Alma, dans lequel il répond avec humour aux critiques, comme l’avait fait Molière dans L’Impromptu de Versailles.

En 1960, Jean-Louis Barrault crée Rhinocéros à l’Odéon-Théâtre de France, puis en 1963 Le Piéton de l’air. Jacques Mauclair crée Le Roi se meurt au Théâtre de l’Alliance française. En 1966 Jean-Marie Serreau met en scène La Soif et la Faim à la Comédie- Française. Le théâtre de Ionesco se déploie sur les grands et petits plateaux, est traduit, se joue dans le monde entier. Ionesco rassemble dans Notes et contre-notes ses articles et conférences. En 1967-1968 il publie Journal en miettes et Présent passé. Passé présent.

En 1970 il est élu à l’Académie française. Jacques Mauclair crée Macbett, Ce formidable bordel !, L’Homme aux valises. Ionesco publie Antidotes, recueil d’articles politiques et littéraires. Claude Confortès crée ses Contes pour enfants et Jorge Lavelli Jeux de massacre. En 1983, Roger Planchon met en scène Ionesco au TNP, composition à partir de pièces, de récits, de rêves et de souvenirs de l’auteur. Ionesco expose des lithographies et des gouaches.

En 1986, Marie-France Ionesco traduit du roumain Non, l’un des premiers textes de son père. Au théâtre de la Huchette, on célèbre les trente ans de La Cantatrice chauve et La Leçon avec la grande équipe de comédiens qui se passent le relais sans interruption depuis la création. Ionesco publie La Quête intermittente, suite de son journal. En 1991 paraît son Théâtre complet dans La Pléiade.

Ionesco meurt à Paris le 28 mars 1994