Joëlle Perrault :
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Annick Buisson Etienne :
Je m’appelle Annick Buisson-Etienne. Je suis née à Toulon il y a 68 ans. Après une carrière d’enseignante, j’ai exercé pendant vingt-cinq ans comme adjointe à la culture de la ville d’Ollioules, tout en menant en parallèle une activité d’écrivaine : j’ai publié deux romans et travaille aujourd’hui au troisième.
La culture a toujours occupé une place essentielle dans ma vie, en premier lieu grâce aux livres. Issue d’une famille modeste, je n’ai cependant pas grandi au contact du spectacle vivant. Je n’ai découvert Châteauvallon que bien plus tard. Mon premier amour artistique a longtemps été la littérature, puis la peinture, avant que l’opéra ne devienne une véritable passion. À une époque, si ce n’était pas chanté, cela ne m’intéressait pas !
Joëlle Perrault :
Quels liens entretenez-vous avec Châteauvallon ?
Annick Buisson Etienne :
Ma première rencontre avec Châteauvallon remonte à 1997. J’accompagnais alors Robert Bénéventi, adjoint à la culture, avant qu’il ne devienne maire d’Ollioules.
Ma découverte du site a été un choc : le lieu, l’architecture, les statues, et surtout cet amphithéâtre au milieu de la nature… C’était un endroit à la fois fascinant et étrange pour moi, tout en étant éloigné de la ville, ce que je comprenais mal à l’époque.
Puis j’ai commencé à suivre sa programmation, centrée alors sur la danse. Peu à peu, le lieu a trouvé une place particulière dans mon regard culturel.
Joëlle Perrault :
Vous êtes aujourd’hui membre du conseil d’administration du Théâtre Liberté et invitée de celui de Châteauvallon. Qu’apporte ce double regard ?
Annick Buisson-Etienne :
J’ai d’abord siégé au conseil d’administration de Châteauvallon, puis à celui du Théâtre Liberté dès sa création, afin d’assurer le lien entre les deux structures. J’ai ainsi pu accompagner leur évolution, les changements de direction et, plus tard, la nomination d’une direction unique avec Charles Berling.
Cette proximité m’a permis de me former par la pratique, en allant beaucoup plus souvent au théâtre. Cela a été pour moi une véritable éducation artistique, que je n’avais pas eu l’occasion d’acquérir plus jeune.
J’ai également été très heureuse de voir le Théâtre Liberté s’installer à Toulon : la ville manquait d’un équipement culturel de cette envergure. Dès avant la fusion, les deux lieux me semblaient se compléter naturellement.
J’ai aussi joué un rôle d’intermédiaire entre Ollioules et Toulon pour faciliter ce rapprochement. Il fallait convaincre, rassurer, créer du dialogue : ce sont des moments où l’on mesure pleinement l’importance du lien institutionnel et humain.
Joëlle Perrault :
Vous avez porté deux grandes expositions retraçant l’histoire de Châteauvallon, pour ses 50 et 60 ans. Quelles en étaient les intentions et les différences ?
Annick Buisson-Etienne :
Pour les 50 ans, je savais que des archives existaient grâce à Simone Komatis, qui les avait conservées chez elle par crainte qu’elles ne disparaissent.
J’ai contacté ses enfants, Jeanne et Yvan Mathis, pour pouvoir travailler chez eux sur ces documents. C’était touchant et impressionnant à la fois : en découvrant ces photos, ces récits, j’ai mesuré l’ampleur de cette aventure humaine et collective.
On y voyait, par exemple, les bénévoles tirer eux-mêmes les pierres pour construire l’amphithéâtre… Une histoire incroyable !
L’exposition des 50 ans était modeste, réalisée avec les moyens du bord mais avec beaucoup de cœur. Elle était pensée comme un acte de mémoire et de respect envers les fondateurs. Même si peu de gens s’y sont intéressés à l’époque, j’étais fière de l’avoir menée.
Pour les 60 ans, j’ai voulu reprendre ce travail mais en allant plus loin. J’ai adopté une perspective plus patrimoniale : replacer Châteauvallon dans l’histoire d’Ollioules, partir de la Bastide, de son rôle, de l’évolution du site… Puis ouvrir sur le Châteauvallon d’aujourd’hui, en collaboration avec Vincent Bérenger, directeur de la 7ème scène pour Châteauvallon-Liberté. Cette exposition était plus aboutie, plus riche, et j’en ai reçu de très beaux retours.
Le fameux rouleau de noms qui traversait la pièce centrale de l’exposition et listait les artistes ayant été programmés à Châteauvallon symbolisait magnifiquement l’ampleur de cette aventure collective.
Joëlle Perrault :
Comment avez-vous constitué cette longue liste de noms ?
Annick Buisson-Etienne :
Je l’avais commencée dix ans auparavant, en m’appuyant sur le travail initié par Simone Komatis.
Présentée sous forme de rouleau, cette liste donnait l’impression d’être infinie. Elle illustrait parfaitement la diversité et la pluralité de toutes celles et ceux qui ont contribué à Châteauvallon.
Elle reste bien sûr non exhaustive, mais elle raconte une histoire : celle d’un lieu construit par des centaines de mains et d’esprits.
Joëlle Perrault :
Quel est, selon vous, le défi de l’équipe de Châteauvallon-Liberté aujourd’hui ?
Annick Buisson-Etienne :
Le véritable défi est de préserver l’éclectisme et l’ouverture qui ont toujours caractérisé Châteauvallon. Ce n’est pas un acquis. L’histoire l’a montré : le lieu a parfois été très spécialisé, notamment autour de la danse, au détriment d’autres formes artistiques.
Or ce qui fait la force de la structure aujourd’hui, c’est justement la possibilité de croiser les disciplines, de la musique aux arts plastiques, du théâtre aux sciences. Cette ouverture doit être protégée des idéologies, des directives trop restrictives. Châteauvallon a failli disparaître à cause de cela.
L’enjeu est donc de préserver la liberté artistique et l’esprit originel, tout en regardant vers l’avenir.
Joëlle Perrault :
Quel est votre plus beau souvenir artistique à Châteauvallon ?
Annick Buisson-Etienne :
Un spectacle m’a profondément marquée : La Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt, mis en scène par Omar Porras. L’utilisation des masques, la scénographie, l’irréalisme… c’était extraordinaire. J’admirais les dessins de Dürrenmatt, mais j’ignorais qu’il avait écrit pour le théâtre. Cette découverte a été un choc esthétique.
J’ai aussi une grande affection pour le travail d’Emma Dante, qui parvient à raconter, à travers des contes, la vérité brute de la vie.
Joëlle Perrault :
Auriez-vous une anecdote à partager ?
Annick Buisson-Etienne :
Un jour, je me promenais dans l’amphithéâtre, hors période de spectacle, en observant les statues. D’autres personnes flânaient également.
Soudain, Philippe Decouflé est apparu avec son chien. Les promeneurs se sont immédiatement extasiés sur l’animal… sans réaliser un seul instant qui était son maître!
Cela m’a beaucoup amusée, et en même temps, j’ai trouvé cela très juste : la célébrité compte peu face au réel. Ce qui demeure, c’est l’œuvre, pas la notoriété.
Joëlle Perrault :
En cette année anniversaire, quel vœu souhaitez-vous formuler pour Châteauvallon ?
Annick Buisson-Etienne :
Je souhaite que Châteauvallon continue d’embrasser toute l’amplitude des arts : du théâtre aux sciences, du patrimoine à la création contemporaine.
L’équipe actuelle porte une fidélité sincère à l’esprit originel : un esprit d’ouverture absolue, sans nostalgie mais avec exigence.
Que cette liberté perdure.
Et que Châteauvallon reste ce lieu où l’on tisse des liens. Car dès ses origines, Gérard Paquet l’avait compris : pour créer un lieu vivant, il faut d’abord accueillir, rassembler, fédérer. Le premier geste de Châteauvallon fut… un restaurant ! Un endroit pour se rencontrer, partager, discuter.
Cet ADN-là, fait d’hospitalité et de relation humaine, me semble essentiel. Je souhaite qu’il guide encore longtemps l’avenir du site.
Photo © Guillaume Castelot – Châteauvallon-Liberté, scène nationale