On achève bien les chevaux, qui a inspiré le célèbre film de Sydney Pollack retrace l’histoire de nombreux couples en quête d’espoirs. Tous sont prêts à tout pour subsister pendant la crise de 1929, en dansant jusqu’à l’épuisement… Dans une mise en scène magistrale qui va faire vibrer les 32 danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin et les 8 comédiens de la Compagnie des Petits Champs, le chorégraphe et les deux metteurs en scène s’allient pour remettre au goût du jour ce célèbre texte d’Horace McCoy.
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Les marathons de danse étaient très populaires durant la Grande Dépression. Des centaines de couples s’y pressaient des jours voire des semaines, espérant y remporter un plat chaud. Le chorégraphe Bruno Bouché et le sociétaire de la Comédie-Française Clément Hervieu-Léger se sont approprié ce sujet, l’occasion d’allier danse et théâtre.
Au gré de figures, derbys et éliminatoires, les artistes, toutes disciplines confondues, interprètent avec force ces danseurs amateurs. Et nous font, tour à tour, découvrir leurs histoires. Des récits poignants, pleins d’humanité.
Texte Horace McCoy
Adaptation, mise en scène et chorégraphie Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro
Avec Louis Berthélémy, Luca Besse, Clémence Boué, Stéphane Facco, Josua Hoffalt, Juliette Léger, Muriel Zusperreguy, Daniel San Pedro… et 32 danseurs du Ballet de l’Opéra national du Rhin
Musique Mhamed El Menjra (direction musicale et guitare) et 3 musiciens (piano, trompette et batterie)
Assistanat à la mise en scène et dramaturgie Aurélien Hamard-Padis
Costumes Caroline de Vivaise
Lumières David Debrinay
Production déléguée La Compagnie des Petits Champs CCN et Ballet de l’Opéra national du Rhin
Coproduction Maison de la danse de Lyon /
Scène Nationale du Sud Aquitain (coproduction en cours)
Photos de couverture © DR
Texte © Vanessa Asse
« Danser jusqu’à l’épuisement, jusqu’à en crever…»
Ce projet est né de la volonté commune d’un chorégraphe, Bruno Bouché, et de deux metteurs en scène, Daniel San Pedro et Clément Hervieu-Léger, de réinterroger la notion de « danse-théâtre » inventée, développée et portée au plus haut par Pina Bausch. Leur idée n’est pas de copier ce que fait la compagnie Tanztheater Wuppertal mais d’imaginer une manière différente de faire se rencontrer le théâtre et la danse en réunissant une compagnie de danse, le Ballet de l’Opéra national du Rhin dirigé par Bruno Bouché, et une compagnie de théâtre, la Compagnie des Petits Champs dirigée par Daniel San Pedro et Clément Hervieu-Léger.
Loin de maintenir chacun des deux groupes dans sa propre pratique artistique, le projet entend mêler danseurs et comédiens dans un même mouvement narratif, de telle sorte que le spectateur ne puisse plus distinguer qui appartient au Ballet de l’Opéra national du Rhin ou à la Compagnie des Petits Champs.
À l’heure où la pluridisciplinarité sonne comme le maître-mot du spectacle vivant, les trois créateurs font le choix de l’interdisciplinarité, autrement dit non pas celui d’une pluralité d’expressions artistiques mais celui « d’un langage commun pour raconter une histoire commune ».
Le roman d’Horace McCoy, On achève bien les chevaux, s’est immédiatement imposé comme la trame narrative idéale pour une telle création.
Le krach boursier de 1929 à New York plonge les États-Unis dans une crise économique sans précédent. C’est le début de la Grande Dépression. Le chômage et la pauvreté explosent, muant la crise économique en véritable crise sociale. À l’étranger, les autres puissances économiques dévissent à leur tour. La crise devient mondiale.
Poussés par le désœuvrement et la misère, des hommes et des femmes s’inscrivent aux marathons de danse, organisés dans tout le pays, dans l’espoir de décrocher les primes dévolues aux vainqueurs. Robert pénètre à son tour dans un de ces immenses halls transformés en dancing et Rocky, le maître de cérémonie, accueille les concurrents. Parmi eux, il y a Sailor, un ancien matelot, Alice, une blonde extravagante et désespérée, ou Gloria qui va devenir la partenaire de Robert. Tous les deux sont figurants au cinéma et connaissent un parcours chaotique semé d’échecs. Tous les deux espèrent que la présence de nombreux producteurs dans le public leur permettra d’être remarqués et engagés. Tous les deux sont prêts à danser jusqu’à l’épuisement, jusqu’à en crever …
Quelle œuvre peut, en effet, se prêter davantage à une telle recherche. Tout semble déjà contenu dans l’histoire : la danse et le théâtre, le groupe, la condition de l’artiste, son rapport au monde et sa place dans la société… Et bien que ce projet soit né avant la pandémie de COVID-19, force est de constater que le roman de Horace McCoy, publié en 1935, résonne de manière particulièrement forte lorsqu’on le relit dans le contexte de la crise sanitaire et économique actuelle et de ses lourdes conséquences pour les artistes.
Le spectacle reprendrait le principe même de l’organisation de ces marathons de danse et placerait les spectateurs dans la situation décrite dans le roman. L’idée est que les spectateurs ne soient pas dans une attitude passive mais fassent partie de l’action : tantôt supporters, tantôt voyeurs. En réduisant la frontière entre le plateau et les gradins, entre la fiction et la réalité, Bruno Bouché, Daniel San Pedro et Clément Hervieu-Léger souhaitent s’interroger sur ce qui fait spectacle.Un spectacle sans public a-t-il une raison d’être ? Le public peut-il être en être l’otage ? Ce faisant, c’est la question-même de la représentation qui est ici posée.
En scène, 30 danseurs et 8 comédiens suivent les règles qui régissent le déroulement de ces marathons de danse et décrites avec précision par McCoy : l’alternance entre la danse et les brèves pauses qui permet aux participants de reprendre leur souffle, les derbys divisés en éliminatoires, les instructions données par Rocky, la musique tantôt jouée par un orchestre, tantôt diffusée par un poste de radio. Le temps écoulé est affiché, de même que les couples restant en lice.
C’est au sein de cette action continue que vient se fondre une seconde ligne narrative faite de plusieurs histoires, parfois simultanées, et qui reprend l’argument développé dans On achève bien les chevaux autour des figures centrales de Robert et Gloria. Il s’agit de cette manière d’être le plus fidèle possible à l’œuvre de McCoy : un environnement extrêmement puissant (le marathon de danse) dans lequel viennent s’inscrire les parcours des différents personnages.
Bruno Bouché, Daniel San Pedro et Clément Hervieu-Léger n’entendent pas travailler sur la composition mais souhaitent demander, au contraire, à leurs interprètes d’être au plus proche d’eux-mêmes. Chacun doit faire avec ses propres forces physiques, sans tricher. C’est de cet « épuisement vrai » que naîtront également une vérité de sentiment et une réelle justesse d’appropriation du texte. Ce sont les corps qui doivent parler d’abord dans ce rythme effréné du marathon. La danse doit être forte, transgressive et résolument contemporaine à l’instar des chorégraphies de Wim Wandekeybus ou de Anne-Teresa de Keersmaeker. Le travail sur la course, notamment pour le derby, est au cœur de la recherche chorégraphique. La parole, elle, ne peut être qu’altérée ou modifiée par l’effort physique. Le texte de McCoy est extrêmement dialogué et offre une matière littéraire exemplaire pour s’abandonner à cet exercice d’interaction entre le corps et la parole. Ce que nous pourrions autrement appeler l’incarnation.
D’un format d’une heure quarante-cinq sans entracte, cette adaptation de On achève bien les chevaux, en mettant à nu la vulnérabilité de l’artiste, souhaite redonner du sens à ce que doit être aujourd’hui l’expérience du spectacle vivant : un spectacle fait de sueur et de larmes, de cris et de chuchotements, d’élans et d’épuisements … Jean-Louis Barrault rappelait que le théâtre était, pour les interprètes comme pour les spectateurs, l’occasion de faire l’expérience de « notre commune humanité », cette humanité que nous raconte McCoy comme personne d’autre.
Bruno Bouché, Clément Hervieu-Léger, Daniel San Pedro